Ayant été soldat moi-même, j’ai eu l’occasion d’observer les nombreuses inefficiences et de réfléchir à des solutions.

A chaque débat, on nous sert les mêmes rengaines : pourquoi on a besoin de telle ou telle arme… mais ces besoins sont souvent reliés à des anciennes visions du monde. Et la Suisse est en retard sur les nouvelles menaces.

Ayant expérimenté l’armée Suisse de l’intérieur, je crois que l’on peut affirmer que cela fonctionne… si on fait abstraction du sens des missions et de son efficience. De nombreuses choses sont à améliorer. Je suis totalement fanatique de l’efficience et de la canalisation de l’énergie et de la motivation des gens pour de vraies causes.

Au fur et à mesure des votations des 20 dernières années, le peuple suisse a exprimé son attachement à l’armée de milice, refusant à chaque occasion son abolition. Personnellement, je ne suis ni totalement pour, ni totalement contre. Je suis simplement déçu de la manière dont la « Grande Muette » fonctionne actuellement. Il y a mieux à faire!

L’armée Suisse coûte très cher au pays, même si elle génère également des centaines de jobs. Près de CHF 5 milliards de francs sont dépensés pour le budget de fonctionnement annuel (!), sans compter les investissements extraordinaires (comme les nouveaux avions).

Ces CHF 5 milliards ne sont toutefois que la partie visible de l’iceberg. Il est estimé que CHF 9 à 14 milliards supplémentaires (!) sont dépensés pour compenser les employeurs pour les absences dues à l’obligation de servir, au titre de l’APG (“Allocations Perte de Gain”). Tout le monde cotise à l’APG, sur son salaire.

Les employeurs touchent 80% du salaire, à titre de compensation pour leur absence lors de leurs cours de répétition. La plupart des employeurs continuent à payer l’entier du salaire. Ainsi, l’employeur paie 20% du salaire pendant 3-4 semaines par an, pour un employé absent. Le coût financier est une chose. La Suisse étant majoritairement composée de PMEs, cette compensation ne permet pas de compenser entièrement la perte de productivité générée : il est en effet souvent difficile de vraiment remplacer une personne pour une période de 3 semaines.

Il fût un temps où une carrière militaire était bien vue dans le CV, mais ces temps-là appartiennent au passé. A part dans le domaine de la police ou des gardes-frontières.

Mais revenons à l’essentiel: quelle est la mission de l’Armée Suisse ?

Protéger le pays. Mais est-ce que notre armée de milice est la manière la plus efficace et efficiente ? Selon les derniers sondages, un peu plus de 50% des citoyens sont plus ou moins contre une armée professionnelle. L’argument principal utilisé contre une armée de professionnels est la crainte de ne pas trouver suffisamment de personnes motivées. Dans le système actuel, c’est effectivement peu probable d’en trouver assez!

Actuellement, la Suisse compte plus de 150’000 soldats, et plus de 25’000 démarrent leur école de recrues chaque année. En moyenne, près de 5’000 soldats sont en service chaque jour, tout au long de l’année.

Cela représente beaucoup de monde. N’est-il vraiment pas possible d’en motiver une partie à devenir professionnels ?

Il est temps de complètement réorganiser l’Armée Suisse et de l’adapter au monde dans lequel nous vivons.

L’attachement des Suisses pour leur Armée n’est pas guidé par une perspective militaire (nous n’avons plus été impliqué dans un conflit depuis plus… de 500 ans !).

La philosophie sous-tendant cet attachement est certainement plutôt une envie de servir son pays.

Pourquoi ne pas utiliser l’armée comme une opportunité d’encourager la « mobilité sociale » (ou « ascenseur social »)?

Cela fonctionne aux USA (même si, outre-Atlantique, la probabilité de revenir entier du service militaire y est inférieure) et nous devrions nous en inspirer.

Toute personne allant à l’armée se retrouve au même niveau, quelque soit son statut social et cela ouvre l’esprit!

A mon avis, le futur de l’Armée Suisse sera un savant mélange entre une armée de professionnels et de milice.

Pendant mes derniers cours de répétition, il y a de cela quelques années, j’ai beaucoup pensé à la manière de moderniser l’armée (j’avais le temps!). Voici ma vision d’une réforme en profondeur de l’armée et de l’obligation de servir, en tant qu’humble citoyen qui se préoccupe de son pays :

  • Chaque jeune homme (et jeune femme?) devrait servir son pays pour une durée fixe et unique comprise entre 28 et 32 semaines, que cela soit à l’armée ou au service civil, ou encore dans un service environnemental (comme brillamment suggéré par de jeunes Biennois récemment). L’obligation de servir pour les jeunes femmes serait également envisageable, mais c’est un autre débat!
  • A la fin de son service, chaque soldat aurait le choix, soit de quitter définitivement l’armée (sans taxe supplémentaire à payer!), soit s’engager en tant que soldat professionnel;
  • Les soldats s’engageant au-delà de la durée obligatoire signeraient un contrat de 6, 12, 24 ou 36 mois, ou plus longtemps encore. Le contrat serait renouvelable;
  • Il sera bien entendu nécessaire de donner une incitation pour encourager et motiver les meilleurs;
  • Cette incitation pourrait être une bourse pour poursuivre sa formation (université, hautes écoles, formation professionnelle, etc.) ou encore pour ceux désirant lancer une entreprise. Par exemple, ceux s’engageant (et étant acceptés!) en tant qu’officier pour deux ans recevraient une bourse supérieure (à ceux s’engageant pour une durée inférieure).

Avec un tel système, je suis persuadé que nous pourrions atteindre une armée professionnelle comptant 10-15’000 soldat-e-s bien entrainé-es. En plus de cette base constante et permanente, les 25’000 nouvelles recrues annuelles permettraient de remplir les missions de l’armée (quelles qu’elles soient !) tout en étant bien plus économique et efficiente.

Economies

Les économies possibles dans le domaine de l’Allocation Perte de Gain sont facilement démontrables:

  • un-e jeune à l’armée coûte environ CHF 1’500.-/mois;
  • un-e soldat-e de 30 ans effectuant son service militaire peut « facilement » gagner CHF 5’000.-/mois. Ainsi, il coûte près de CHF 4’000.-/mois en APG.

Si on prend l’hypothèse que 30’000 soldat-es effectuent un cours de répétition chaque année, et qu’ils gagnent – en moyenne – CHF 5’000.-/mois, ce ne sont pas moins de 56 millions qui pourraient  ainsi simplement être économisés, rien qu’en APG!

De plus, il parait également évident qu’il y a également beaucoup d’économies à faire dans le budget militaire… si l’on se donne la peine de bien vouloir fixer de vraies missions et de moderniser le fonctionnement de notre armée.

Et pourquoi ne pas, dans la foulée, utiliser toutes ces économies pour financer un réel congé parental?